Erreur d'administration d'un gaz médical dans la prise en charge de la douleur du pré-travail

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Erreur d'administration d'un gaz médical dans la prise en charge de la douleur du pré-travail

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  • Une femme enceinte sous monitoring dort - La Prévention Médicale

En cas de contre-indications médicales, de volonté de la patiente ou lorsque le médecin n'est pas disponible, le gaz protoxyde d'azote (N2O) est largement utilisé en maternité en lieu et place de la péridurale. Mais attention aux confusions entre les différents gaz médicaux ! Le personnel remplaçant doit être formé à leur utilisation, et des détrompeurs doivent être mis en place à chaque fois que cela est possible.  

Auteur : Candice LHAUTE, Sage-femme / MAJ : 28/05/2024

Contexte

La prise en charge de la douleur est une priorité de santé publique en France. La loi du 4 mars 2002 l’a consacrée comme un droit : "Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée". 

En obstétrique, cette notion est prépondérante car la prise en charge d'une parturiente ne peut s'entendre sans prise en charge de sa douleur.

L'analgésie péridurale est la méthode la plus répandue (83 % des accouchements en France en 2021). Cependant, d'autres méthodes peuvent être utilisées en cas de contre-indications médicales, de volonté de la patiente ou lorsque le médecin n'est pas disponible. Le gaz protoxyde d'azote (N2O) est largement utilisé dans ce contexte en maternité.

Retour d'expérience

Mme S. est une primipare de 25 ans sans antécédents médicaux notables. Sa grossesse a été obtenue par FIV et s'est déroulée sans incident. 

À 39 SA + 2 j, Mme S. se présente à 8 h aux urgences de la maternité pour une rupture spontanée des membranes : le liquide amniotique (LA) est clair, l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal (RCF) est normal, les contractions (CU) sont irrégulières et le col est postérieur, mi-long, ouvert à 1 doigt avec une présentation juste appliquée. Le prélèvement vaginal de fin de grossesse étant négatif pour le Streptocoque B, la patiente est hospitalisée dans une chambre en maternité pour attendre le début du travail.

3 heures plus tard, la patiente appelle la sage-femme du service pour des contractions régulières et douloureuses toutes les 5 minutes avec une EVA à 5 : la SF pose alors un monitoring pour vérifier le bien-être fœtal et propose un nouvel examen du col. Le toucher vaginal est inchangé. Des antalgiques simples (paracétamol et phloroglucinol) sont alors proposés et acceptés par la patiente. La sage-femme donne des conseils pour gérer la douleur des CU : marcher, prendre une douche chaude, faire des mouvements sur le ballon...

À midi, la sage-femme repasse dans la chambre : Mme S. est endormie...

Vers 15 h, la patiente sollicite de nouveau la sage-femme pour des contractions et une EVA à 8. Le monitoring est normal, le TV est quasiment identique : le col est postérieur, court, ouvert à 1 doigt. La sage-femme explique alors qu'il est encore trop tôt pour poser une analgésie péridurale (APD) et demande à la patiente si elle se sent de gérer encore les CU en prenant une douche ou en faisant du ballon. La patiente accepte, avec réévaluation 1 heure plus tard.

À 16 h 30, le col est intermédiaire, épais, ouvert à 3 cm, la présentation est appliquée : la patiente décrit une EVA à 9 et demande une APD.

La sage-femme accompagne alors la patiente en salle de naissance et transmet le dossier à sa collègue, une sage-femme intérimaire. 

Après 30 minutes de monitoring, elle appelle l'anesthésiste de garde (ARE) pour qu'il vienne poser la péridurale. Il n'est alors pas disponible car occupé sur une urgence gynécologique au bloc opératoire. La sage-femme annonce à la parturiente qu'elle va devoir patienter et lui propose, pour mieux gérer la douleur pendant l'attente, de lui donner un masque avec du protoxyde d'azote : la patiente accepte, son EVA est à 10. 

La sage-femme explique les symptômes que va potentiellement ressentir la patiente (nausées, vertiges etc.), branche un masque haute concentration à la prise d'air murale et ouvre le robinet du gaz. Elle surveille aussi Mme S. avec un saturomètre. 

Au même moment, la SF aperçoit une bradycardie sur l'écran retransmettant les enregistrements des RCF des parturientes, chez une des autres patientes dont elle s'occupe : elle se rend donc immédiatement dans l'autre salle, en laissant la sonnette à disposition de Mme S. si nécessaire.

5 minutes plus tard, le conjoint de Mme S. sonne : c'est la seconde sage-femme de garde qui vient répondre, la première étant toujours occupée sur la bradycardie. Monsieur S. demande à la sage-femme s'il est normal que sa femme semble endormie profondément et ne lui réponde plus : la sage-femme aperçoit le masque sur le visage de la patiente, tente de la stimuler et de la réveiller sans succès. Elle suit alors le trajet de la tubulure du masque et s'aperçoit qu'elle est branchée non pas au protoxyde d'azote mais à la cuve de Sevoflurane !

Elle ferme immédiatement l'alimentation en gaz, ouvre l'oxygène et appelle le gynécologue de garde et l'anesthésiste en urgence : ce dernier arrive immédiatement et intube la patiente 3 minutes plus tard. La patiente chute alors sa pression artérielle à 85/48, le pouls est à 130 bpm ; s'ensuit quasi immédiatement une bradycardie fœtale à 80 bpm qui ne récupère pas au bout de 5 minutes.

Devant la situation de la patiente endormie depuis plus de 10 minutes et la bradycardie fœtale ne récupérant pas (le col n'étant toujours ouvert qu'à 3 cm), le gynécologue de garde décide de pratiquer une césarienne en urgence. Le pédiatre est prévenu.

L'enfant naît 10 minutes plus tard avec un Apgar à 7/8/10 des pH à 7,10 et lactates à 7.

Les suites immédiates de la césarienne sont simples, la patiente ne saigne que 300 cc, elle est réveillée puis surveillée en SSPI.

Son compagnon la rejoint une heure après, n'ayant pu assister à la césarienne. L'équipe médicale revient alors expliquer les événements au couple, la sage-femme s'excuse de sa confusion.

Le séjour en maternité est sans particularité et la famille regagne son domicile 5 jours plus tard. Un suivi psychologique est proposé et accepté par le couple au décours du séjour et se poursuivra durant 6 mois environ.

Conséquences

  • Une anesthésie générale involontaire avec hypotension maternelle et bradycardie fœtale.
  • La nécessité de réaliser une césarienne en urgence chez une patiente dont le travail se déroulait normalement avec un RCF normal.
  • Un contexte d'urgence évinçant le compagnon de la naissance de son enfant.
  • Un stress intense pour l'équipe médicale devant gérer la mère endormie et un fœtus avec des anomalies du RCF.
  • Des conséquences psychiques pour la mère qui s'est réveillée avec une césarienne et un bébé sans avoir eu conscience des événements antérieurs.

Méthodologie et analyse

L'équipe médicale et les cadres du service ont souhaité une analyse de cet EIG qui aurait facilement pu être évité.

Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée. La méthode ALARM est retenue.

Cause immédiate

Erreur d'administration d'un gaz médical en salle de naissance

Causes profondes 

Barrières de défense

Pistes de réflexion et d'amélioration

  • En cas de nécessité de remplacement de personnel, prioriser les SF fixes dans les services "sensibles" d'urgence.
  • Mise en place d'autocollants plus visibles pour signaler la cuve de Sevoflurane.

Conclusion

La prescription du protoxyde d'azote fait partie du champ de compétences de la sage-femme (décret 5 mars 2022 "Mélange équimoléculaire oxygène protoxyde d’azote exclusivement en milieu hospitalier, et sous réserve d’une formation adaptée").

Il est fortement banalisé car utilisé quotidiennement en obstétrique ; cependant, le contexte d'urgence, le manque d'attention, la fatigue, l'interruption de tâche lors de la préparation et la délivrance d'un médicament, sous quelque forme qu'il soit, sont souvent la cause d'erreurs qui peuvent être dramatiques.

D'ailleurs, l'erreur dans l’administration d’un gaz à usage médical est considérée comme un événement qui ne devrait jamais arriver, par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament depuis février 2012 (Never Events). Ainsi, la sécurisation du processus entier (prescription, dispensation, administration, information du patient) est une priorité qui doit être partagée par tous avec un objectif commun : la qualité de la prise en charge globale des patients.